La santé « mentale » au travail
Outre les problèmes de santé liés au domaine physique, le travail est à l'origine parfois de problèmes dits de « santé mentale ».
Ceux-ci ne sont pas à négliger.
Les plus courants sont le stress, le burnout, les suicides ou encore le harcèlement. Revenons sur chacun d'eux.
Le stress
Définition :
Le stress a été défini dans l'accord interprofessionnel du 2 juillet 2008 : « un état de stress survient lorsqu'il y a déséquilibre entre la perception qu'une personne a des contraintes que lui impose son environnement et la perception qu'elle a de ses propres ressources pour y faire face. L'individu est capable de gérer la pression à court terme mais il éprouve de grandes difficultés face à une exposition prolongée ou répétée des pressions intenses ».
Karasek (1992)[1] a mis en avant deux variables pour expliquer le stress au travail : l'autonomie d'une part (la possibilité de choisir les modes opératoires et la capacité de peser sur les processus de décision) et le soutien social sur lequel peut compter le salarié d'autre part (soutien instrumental ou technique, soutien émotionnel). Selon lui, l'absence d'autonomie et de soutien social accroît les risques de sous-utilisation de compétences, de maladies mentales et cardio-vasculaires.
Les contraintes organisationnelles se sont modifiées et les facteurs de stress ont évolué ces dernières années. Il est vrai qu'inciter à la compétition entre les professionnels aura tendance à générer des tensions certes stimulantes mais parfois aussi délétères. Les salariés se disent « pressés » au travail. Ils se sentent « surchargés » et soumis à un niveau d'exigence beaucoup trop élevé. Ils se disent non reconnus pour le travail qu'ils accomplissent, voire se sentent dépréciés quelque soit le travail ou les résultats qu'ils fournissent. Tout cela alimente chez eux, un sentiment de déséquilibre entre les efforts qu'ils font et l'appréciation ou la récompense du travail qu'ils obtiennent.
Le stress n'est pas que lié à des causes extérieures. Il dépend aussi de notre manière de percevoir les choses et le réel qui nous entoure. Certains salariés ont en effet une perception négative d'eux-mêmes ou de leur environnement et ce sont ces représentations qui alimentent leur mal-être. Ils ont tendance à être défaitistes, à voir le verre à moitié vide plutôt qu'à moitié plein.
Toute personne confrontée à du stress tente d'y répondre soit par des stratégies cognitives, comportementales ou physiologiques (Aspinwall & Taylor, 1997). Ces stratégies sont déployées dans le but de gérer les demandes de l'environnement, de les modifier ou, encore, de s'y adapter (Aldwin, 1994).
Tableau 1 : Modèle cognitif et conditionnel du stress professionnel
Le burnout
La notion de burnout désigne un sentiment de surmenage, d'épuisement dans le travail. Il se manifeste de manière variée par des réactions émotionnelles (angoisse, dépression), cognitives (difficultés à se concentrer, à prendre des décisions), motivationnelles (perte d'intérêt pour son travail), comportementales (conduites addictives, isolement, cynisme), et enfin physiologiques (diabète de type 2).
Le Maslach Burnout Inventory (MBI) est un questionnaire servant à mesurer trois aspects du burnout : l'épuisement émotionnel, la dépersonnalisation, et le défaut d'accomplissement personnel. Le burnout survient surtout lorsque le salarié ne parvient pas à gérer son stress ou lorsqu'il est persuadé que ses efforts seront vains (du fait d'un sentiment d'inégalité au travail).
Les suicides
Les suicides concernent aussi bien les cadres que les ouvriers. Il est impossible de dire qu'une catégorie de personnel est plus concernée qu'une autre. Il y a parmi les morts aussi bien des hommes que des femmes et les situations de travail où surviennent ces drames, sont très différentes les unes des autres. L'énigme se complique encore quand on se rend compte que ces suicides s'observent dans des contextes où les relations dans l'espace privé sont très dégradées, ou au contraire, riches et solides. De même, ils emportent des agents isolés depuis longtemps par l'indifférence de leurs collègues et d'autres, bien considérés par leur communauté de travail.
Chez la grande majorité de ceux qui se suicident, on retrouve une surcharge de travail. Elle amorce un processus psychique (pathologies somatiques - hypertension artérielle, maladies coronariennes, troubles musculo-squelettiques – ou de toxicomanies à l'alcool ou à la cocaïne). Dans les nouvelles formes d'organisation, la surcharge a tendance à isoler le travailleur de ses collègues. Très difficile, voire impossible de demander de l'aide, un conseil, un avis aux collègues, parce qu'ils sont eux aussi surchargés. Le chacun pour soi n'est plus un choix, il s'impose de lui-même. Naît progressivement un sentiment d'être toujours en retard, de ne jamais faire suffisamment bien et posément les choses, de produire un travail de qualité médiocre, voire bâclé, obligeant souvent à frauder.
En l'absence de recours à la solidarité ordinaire dans le travail, la seule voie possible pour faire face à la surcharge consiste à mobiliser des ressources individuelles : travailler plus ou emporter une partie de son travail chez soi. Il y a tendanciellement de moins en moins d'étanchéité entre la sphère privée et celle du travail, la première étant souvent colonisée par la seconde. Et lorsqu'elle ne l'est pas c'est au prix d'un travail psychique de dissimulation qui aggrave encore les conflits internes d'ambivalence. L'issue dramatique survient lorsque ayant épuisé toutes ses ressources psychiques et intellectuelles, le travailleur ne peut plus échapper à la perte de confiance en soi et à la déconsidération pour soi-même, ni à l'expérience de se vivre comme un sujet incapable, impuissant et dépassé[2].
Exemple :
Tiré de Delberghe M., (2013), « Entreprise : le management en accusation chez l'écureuil », Santé & Travail, Janvier, n°81.
La méthode benchmark utilisée par la Caisse d'épargne Rhône-Alpes a été récemment remise en cause par une décision de justice (TGI de Lyon). En effet, elle instaure une compétition de tous les instants entre les salariés... au risque de les épuiser.
Les rapports alarmants et les mises en garde réitérées - plus d'une cinquantaine de documents - provenant de l'Inspection et des médecins du travail, des assistantes sociales, ou du CHSCT, ont révélé la nature et l'ampleur des troubles provoqués par le benchmark. De ces éléments accablants, le tribunal a conclu que « l'organisation collective de travail basée sur le benchmark compromet gravement la santé des salariés »
. Les magistrats ont invoqué l'article L 4121-1 du Code du travail qui stipule que « l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs »
. Dans leurs attendus, les juges ont rappelé que l'employeur « doit prévenir le risque et non intervenir a posteriori »
. « Il est de jurisprudence constante que l'obligation de sécurité est une obligation de résultat »
, assurent-ils.
Par le biais d'outils informatiques sophistiqués, réactualisés en continu, chaque salarié s'est retrouvé soumis à un classement, établi en comparant son activité à celle de ses collègues, chaque agence étant également évaluée selon les résultats des autres. Le système d'information a également été conçu pour analyser l'efficacité des commerciaux et leur taux de succès, selon le temps passé lors des appels téléphoniques, des contacts ou des rendez-vous... Quant au montant de la part variable des rémunérations, de l'ordre de un à deux mois de salaire, il est fixé selon le classement établi, en prenant en compte des indicateurs d'activité individuelle et de performance collective.
« Chaque matin, les compteurs étaient remis à zéro. Nous étions des machines de guerre pour convaincre les clients... et trouver des combines pour gagner des places »
, témoigne, sous le sceau de l'anonymat, un des commerciaux de la caisse. « Nous étions soumis à une course permanente sur des critères qui nous échappaient, souligne un autre. Le système de benchmark a été établi pour un monde virtuel, hors de la vraie vie. Il ne tient pas compte de l'environnement géographique, économique et social des agences. Les résultats ne sont pas les mêmes selon que l'on est à Vénissieux, Vaulx-en-Velin, au centre de Lyon ou à la frontière suisse. »
Les conséquences de cette organisation se sont révélées en effet désastreuses pour les salariés. Il est écrit dans un rapport sur les risques psychosociaux au sein de la Caisse de Rhône-Alpes : on est dans « une course sans fin à la performance »
. En 2009, les médecins du travail renouvelaient « leur message d'alerte devant la dégradation de la santé des salariés »
. Une aggravation amplifiée, selon Sud, par« le sentiment d'instabilité permanent, faute de se situer dans les objectifs »
, et par « une culpabilisation de fait de la responsabilité de chacun dans le résultat collectif »
. Sous la pression des syndicats et du CHSCT, un « plan d'action qualité de vie au travail »
a bien été adopté en 2009, prévoyant la création d'un observatoire des risques psychosociaux et la mise en place d'un numéro Vert. Mais cela n'a pas suffit. Mutations d'office, notamment dans la hiérarchie intermédiaire, départs anticipés, demandes de mobilité de salariés pas très bien référencés et pénalisés dans l'évolution de leur carrière : le turn-over s'est accéléré au sein d'un établissement qui « a admis avoir dû reclasser en urgence 60 à 80 personnes en grande souffrance »
. Les suicides, en 2011, de deux salariés en Provence-Alpes-Côte d'Azur et en Franche-Comté, ont accéléré la prise de conscience des conséquences de ce mode de gestion du personnel.
Pour compléter il est intéressant de regarder le témoignage d'une psychologue sur la conduite à tenir en cas de suicide :
http://www.travailler-mieux.gouv.fr/Temoignage-d-Emmanuelle-Lepine-sur.html
Le harcèlement
En France, 7% des travailleurs disent avoir été victimes d'actes de violence émanant de collègues ou de clients.
Dans de nombreux conflits du travail, collectifs ou individuels, le harcèlement moral est devenu un leitmotiv. Deux événements ont particulièrement accéléré ce phénomène : la publication en 1998 de l'ouvrage de Marie-France Hirigoyen et la loi de 2002. Le code du travail parle de harcèlement lorsqu'il y a des agissements répétés. Ce sont des comportements durables qui ont tendance à dévaloriser ou isoler un (ou plusieurs) membre de l'organisation de façon à l'intimider, à le dévaloriser et au final à le déstabiliser.
Le harcèlement est légalement condamné depuis 2002. Dans la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002, modifiée par la loi du 3 janvier 2003 (Art. L.122-40 du code du travail, Art. L.222-33 du code pénal), le harcèlement moral est défini par “les agissements répétés qui ont pour effet ou pour objet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte aux droits du salarié, à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel”.
Définition :
Pour
Leymann[3] (1996), le harcèlement renvoie à « toute conduite abusive se manifestant notamment par des comportements, des paroles, des actes, des gestes, des écrits unilatéraux de nature à porter atteinte à la personnalité, à la dignité ou à l'intégrité physique ou psychique d'une personne et mettre en péril son emploi ou à dégrader le climat de travail »
.
Leymann classe en cinq catégories les agissements pouvant être assimilés à des pratiques de harcèlement :
empêcher la « victime » de s'exprimer
l'isoler
la déconsidérer auprès de ses collègues
la discréditer dans son travail
compromettre sa santé.
Leymann propose un questionnaire permettant d'identifier les situations :
Souvent le harcèlement naît de manière anodine et insidieuse. La « victime » est mise en position d'infériorité, elle est humiliée par des attaques prolongées. Elle est comme anesthésiée à force d'être acculée, surveillée ou punie. Elle finit pas montrer « le pire d'elle-même ».
Hommes, femmes peuvent être victimes d'une relation de domination, d'un lien toxique : il n'y a ni âge, ni profession, ni nationalité ou religion qui épargne de la manipulation. En revanche, ce qui rend toute personne « victime potentielle », vient essentiellement de la mauvaise image qu'elle a d'elle-même, de sa propension à se sentir coupable et/ou de sa tendance à vouloir sauver les autres.
La déstabilisation de la personne peut résulter de motivations diverses telle que la simple distraction (ex : phénomène de bouc émissaire), le refus d'une différence (ex : être la seule femme dans un groupe d'hommes ou le seul « noir » dans un groupe de blancs), la volonté de nuire, la jalousie, le souhait de conquérir le pouvoir, le bénéfice de faveurs à caractère sexuel, ou encore l'obtention de la démission (Poilpot-Rocaboy, 1998).
Dès que le harcèlement est suspecté, le risque est grand de sombrer dans un climat de suspicion généralisée.
Exemple :
« Chef d'un service hospitalier de rééducation dans une grande ville, Lucile a été accusée deux fois de harcèlement. « J'ai eu tort d'éclater en sanglots devant une infirmière qui m'annonçait qu'elle était enceinte. Mais c'était la troisième grossesse que l'on m'apprenait en une semaine. Lorsqu'on connaît les lourdeurs et les difficultés pour remplacer du personnel à l'hôpital public, il y a de quoi craquer. Le lendemain, poursuit-elle, le mari de cette infirmière m'a fait une leçon de morale et m'a menacée des tribunaux ». Quelque mois plus tard, un médecin revient à l'assaut et traite Lucile de « chef harcelante ». « Cette personne dispose de son mercredi, précise la responsable. Dans l'intérêt du service et pour la stimuler dans son job, je lui ai demandé de consacrer une partie de cette journée à faire des travaux de recherche. Est-ce trop demander à un médecin hospitalier qui travaille quatre jours par semaine sans aucune astreinte que d'en faire un tout petit peu plus ? »
Rey F.[4] (2003).
Complément :
Les obligations légales des employeurs en matière de lutte contre le harcèlement dit moral :
Article L.1152-1 dit qu' « aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».
Article L.1151-2 dit qu' « aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discrétionnaire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ni avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés ».