Théories des organisations et « méta discours »
Le processus et le produit de la théorisation relative aux organisations doivent être considérés comme historiquement situés ou contextualisés. D'une part, parce que l'objet même d'analyse possède un caractère multiforme et protéiforme, dont les manifestations s'encastrent dans des conditions socio-historiques spécifiques, propres à faire évoluer les centres d'intérêt des observateurs. D'autre part, parce que la théorie des organisations donne l'image d'un terrain historiquement disputé par différents langages, approches, philosophies.
Une façon de comprendre la succession des écoles et les débats qui traversent le champ consiste, en prenant de la distance vis-à-vis du détail du contenu des différents courants, à mettre au jour les thèmes et les problématiques majeurs qui les caractérisent, ce que l'on peut appeler les méta-discours.
Le tableau suivant, emprunté à M. Reed, propose un inventaire de ces méta-discours :
Discours dominant | Problématique majeure | Contenu du discours | Exemples | Dynamique contextuelle |
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La rationalité | L'ordre | Les organisations sont des entités rationnellement construites pour résoudre les problèmes collectifs d'ordre social et de management La société et les organisations qui la composent doivent être gérées par des lois scientifiques d'administration, universelles, objectives. | théorie classique, management scientifique, certaines formulations de la théorie de la décision (Taylor, Fayol, Simon, ...) | De l'obscurantisme à l'ère industrielle |
L'intégration | Le consensus | Réponse à l'incapacité du cadre rationnel de rendre compte de la dynamique et de l'instabilité des organisations complexes Réponse à l'échec de la théorie rationaliste dans le traitement du problème de l'intégration sociale | mouvement des RH, courant des ressources humaines, théories fonctionnalistes, contingentes, systémiques, culture d'entreprise | Du capitalisme entrepreneurial au capitalisme de bien-être (welfare capitalism) |
Le marché | La liberté | Hypothèse fondamentale de formes organisationnelles qui optimisent leur rendement au sein d'environnement dont les pressions concurrentielles limitent l'exercice des options stratégiques Le design, le fonctionnement, l'évolution des organisations sont le résultat de forces universelles (les forces du marché) qui déterminent les chances de survie | théorie de la firme, théories économiques de l'organisation, théorie de la dépendance en ressources, théorie de l'écologie des populations | Du capitalisme managérial au capitalisme néo-libéral |
Le pouvoir | La domination | Rejet du déterminisme environnemental Rejet des cadres unitaires de conceptualisation de l'organisation L'organisation considérée comme une arène d'intérêts et de valeurs en conflit | courant critique, approches néo-wéberiennes, théories institutionnelles, analyse stratégiques des organisations | Du collectivisme libéral au corporatisme négocié |
La connaissance | Le contrôle | L'organisation comme ordre socialement construit et soutenu, nécessairement fondé sur les stocks locaux de connaissance, les routines et les moyens techniques mobilisés par les acteurs dans leurs interactions et leurs discours quotidiens Une micro approche des processus de production des connaissances à travers lesquels l'organisation est ordonnée et reproduite au cours du temps | ethnométhodologie, approches post-modernistes | De la modernité, de l'industrialisme, à la post-modernité, au post-industrialisme |
La justice | La participation | L'organisation comme structure institutionnalisée de pouvoir et d'autorité (au-delà des aspects micro et locaux) Les processus (cognitifs, culturels, politiques) par lesquels les acteurs en viennent à soutenir certaines logiques d'organisation plutôt que d'autres. Importance des structures de gouvernement et de contrôle prévalant dans les organisations contemporaines et de leurs fondements sur les plans de la justice et de la morale | théories néo-institutionnalistes, éthique des affaires, gouvernance d'entreprise, démocratie industrielle, courant critique | Des pratiques répressives à la démocratie participative |
Le réseau | La complexité | Les changements majeurs dans les formes sociétales, institutionnelles, organisationnelles contemporaines Le réseau comme réponse collective à la complexité, l'ambiguïté, l'incertitude croissantes | théories post-bureaucratiques, post-industrielles, network society | De la société post-industrielle à la « network society » |