Introduction
Il n'est guère de réflexion ni de logique d'action en management qui ne s'appuie, d'une façon ou d'une autre, sur un voire plusieurs courants de théorie des organisations exprimant une certaine conception de ce qu'est une organisation et de la façon dont cela fonctionne ou devrait fonctionner.
La théorie des organisations fait ainsi office de discipline « ressource », un ensemble de connaissances disponibles pour toute personne, observateur, analyste, conseiller, décideur, amenée à se préoccuper de questions de management d'une organisation, quelle qu'elle soit.
Discipline sans doute centrale, la théorie des organisations présente en même temps des traits déroutants, voire ambigus.
Cela tient tout d'abord à l'objet d'étude lui-même, c'est-à-dire les organisations. Celles-ci constituent une population d'objets suffisamment hétéroclites pour qu'il soit légitime de s'interroger sur la pertinence de leur regroupement en une catégorie unique. On peut voir dans ce regroupement une trace de l'esprit et de l'épistémologie des Lumières voulant que toute entité soit classée et que l'on poursuive un projet de construction d'une connaissance universelle sur la catégorie correspondante. Le fait de rechercher les traits communs essentiels des différentes organisations observables pour mettre au jour les mêmes lois qui les gouverneraient participe de cet esprit et de cette démarche.
Complément :
Pour aller plus loin sur la notion d'organisation et sur les essais typologiques, voir les chapitres correspondants.
On peut y voir aussi l'effet du développement du management en tant que profession spécifique, activité universelle valant pour une catégorie générale d'entités, l'organisation.
Pour autant, l'idée que les entreprises, les associations, les agences publiques, les hôpitaux, les armées, les universités, les Eglises, etc., appartiennent à une même catégorie d'entités n'est pas un fait incontestable mais plutôt une hypothèse sur l'utilité d'une catégorie générale comme base de production de connaissances pertinentes.
Complément :
Sur les modalités de production de connaissances sur les organisations, voir le chapitre correspondant.
Un deuxième élément qui rend l'abord de la théorie des organisations quelque peu déroutant est le fait que l'étude des organisations appelle la conjonction de plusieurs niveaux d'analyse.
L'organisation elle-même, en tant qu'entité poursuivant un projet d'activité, est évidemment l'un de ces niveaux.
Remarque :
Comme on le verra, ce niveau n'est pas celui qui a retenu l'attention de ceux que l'on considère comme les premiers contributeurs de la discipline.
Mais cette organisation est elle-même composée de groupes (primaires) dont l'existence est, notamment, liée aux nécessités de la division du travail. Ces groupes sont eux-mêmes constitués de personnes aux compétences et aux motivations diverses. L'organisation est en outre insérée dans une société qui possède ses règles, ses traditions, son histoire, sa culture. On peut encore ajouter le fait que notre organisation entretient des relations de différente nature (relations de concurrence, de complémentarité, de collaboration, etc.) avec d'autres organisations appartenant à la même société globale ou à d'autres.
En bref, les niveaux d'analyse sont multiples et, qui plus est, non indépendants les uns des autres. Le schéma suivant en donne un aperçu, en retenant quatre niveaux d'analyse :
les individus
les groupes primaires : ensembles d'individus interagissant fréquemment pour l'accomplissement des tâches
les organisations : unités composées d'un ensemble de groupes primaires, poursuivant des objectifs et ayant des structures formelles
la société : ensemble complexe d'individus, de groupes et d'organisation
Chaque flèche du schéma suggère le fait que l'explication d'un phénomène observé à un niveau d'analyse peut être enrichie par la prise en considération d'un autre niveau.
Ajoutée au fait que les organisations constituent une réalité essentielle du fonctionnement de nos sociétés, cette multiplicité de niveaux d'analyse justifie l'intérêt que différentes disciplines de sciences humaines et sociales ont porté à cet objet.
La discipline « théorie des organisations » est ainsi nourrie d'apports :
d'économistes, notamment intéressés par les questions d'allocation de ressources et de rationalité des décisions ;
de sociologues qui analysent les propriétés des organisations en tant que systèmes sociaux et leurs rapports avec la société dans son ensemble ;
de spécialistes de sciences politiques qui tendent à privilégier les questions de sources et d'usage du pouvoir (de et dans les organisations) ;
de psychologues et de psychosociologues soucieux de comprendre les comportements des personnes et des groupes dans un contexte organisationnel.
On peut encore ajouter à cette liste les contributions d'historiens, de philosophes, de juristes, le tout sachant que les questions privilégiées par une discipline donnée peuvent également être abordées, au moins de manière périphérique, par les autres disciplines.
Cette pluralité de regards donne à la théorie des organisations un caractère éclectique, voire cacophonique, dans la mesure où les questions que posent les organisations ne débouchent pas sur des réponses consensuelles.
Ces questions sont nombreuses.
L'un des premiers inventaires, en quelque sorte programmatique pour la discipline, formulé au milieu du 20è siècle par le sociologue Talcott Parsons, envisageait trois grands types de questions :
celles relatives aux modalités d'adaptation d'une organisation au contexte dans lequel elle est amenée à fonctionner, ce qui renvoie notamment à des problèmes d'acquisition de ressources et de relations entretenues avec des acteurs extérieurs ;
celles concernant les mécanismes internes de fonctionnement de l'organisation, de structure et de processus permettant la réalisation des activités pour lesquelles l'organisation a été créée et d'atteinte des buts qu'elle s'est fixés ;
celles de l'intégration de l'organisation dans le système social total, de son impact sur ce dernier, et des relations entretenues avec les autres types de collectivités.
Près de cinquante ans plus tard, un autre sociologue, Charles Perrow, ajoutait à cette liste la question de savoir comment nous en sommes venus à construire une société d'organisations, comment celles-ci naissent, se développent et meurent, et comment il est possible d'améliorer le fonctionnement interne pour satisfaire les différents groupes d'acteurs parties prenantes aux organisations, sachant que leurs intérêts ne sont pas nécessairement convergents.
Pluralité des niveaux d'analyse, variété corrélative de regards disciplinaires, diversité des questions que suscitent les organisations, voilà autant de facteurs qui contribuent à la richesse de la discipline « théorie des organisations » tout en rendant son abord délicat.
Sans doute vaut-il mieux utiliser le mot « théorie » au pluriel pour éviter de donner l'impression que l'on a affaire à une discipline parfaitement cohérente qui se serait développée sur la base d'un paradigme unique.
Définition :
Le mot paradigme souffre d'un très grand nombre de définitions. Le plus souvent, on considère qu'un paradigme est un modèle dominant qui gouverne la pensée scientifique à une époque, ou dans un domaine donné.
Selon T. Kuhn, à la fois philosophe et sociologue, un paradigme scientifique se définit par :
un ensemble d'observations
un ensemble de questions relatives au sujet étudié
des indications méthodologiques
des modalités d'interprétation des résultats de la recherche scientifique
Chaque théorie, chaque courant de pensée, mérite une attention spécifique. Il est cependant difficile d'en apprécier la portée sans une vue d'ensemble de ce qu'a produit cette discipline depuis ses premiers développements et sans quelques points de repère autour desquels ordonner la diversité des connaissances et les clivages qui traversent ce champ disciplinaire.
L'exposé qui suit, introductif à une étude approfondie des différentes théories, proposera ces éléments de repérage.
Il sera organisé en deux temps :
présentation d'un inventaire des principales écoles en théorie des organisations
éléments de mise en ordre ou de mise en perspective des apports de ces principales écoles