Présentation générale des théories des organisations

Des questions ou des thématiques récurrentes

Les questions fondamentales censées orienter les recherches sur les organisations ont déjà été évoquées dans leurs grandes lignes.

Dans le détail, ces interrogations majeures se déclinent en de multiples sujets qui sont régulièrement explorés, ce qui n'exclut évidemment pas des effets de mode.

Le schéma suivant propose un inventaire des principaux sujets traités en théorie des organisations et mentionne les différents courants qui ont apporté une contribution suscitant un certain nombre de débats.

Attention

Cet inventaire appelle plusieurs remarques.

D'une part, il s'agit d'un inventaire simplifié. Certaines thématiques mériteraient d'être décomposées pour donner une vue plus complète de ce qu'a produit la théorie des organisations (« organization theory), mais aussi les recherches en comportement organisationnel (« organizational behavior »). Par exemple, une thématique comme le fonctionnement interne de l'organisation recouvre de multiples sujets comme le processus décisionnel, les systèmes de contrôle, le traitement des conflits, etc.

D'autre part, une thématique n'est pas explicitement mentionnée mais n'en constitue pas moins une préoccupation largement présente dans les travaux, celle de l'efficacité ou de la performance de l'organisation, notion qui pose de nombreux problèmes de définition et de mesure.

Enfin, certains sujets peuvent valoir plus spécifiquement pour telle ou telle catégorie d'organisations et ne sont pas répertoriés dans ce schéma très général. Par exemple, la question du « gouvernement » de l'entreprise est d'ordinaire considérée comme se posant essentiellement pour les firmes dites « managériales » à actionnariat dispersé, où s'opère une dissociation entre propriété et direction.

Schéma 2 : Les thématiques

Il n'est guère possible ici de passer en revue l'ensemble de ces thématiques et d'exposer ce que les différents courants théoriques en disent.

Dans un but d'illustration, les tableaux suivants proposent quelques exemples de thématiques et résument ce que différents courants ont pu apporter.

L'organisation du travail

Principes d'organisation du travail

Ecole classique : les principes tayloriens

Courant systémique : quelques principes de l'école socio-technique

Séparation des tâches de conception et des tâches d'exécution

Rationalisation de l'exécution des tâches par recherche de la solution optimale (décomposition de la tâche en unités élémentaires, étude des temps et des mouvements)

Spécialisation des tâches

Supervision directe des exécutants

Rémunération au rendement

Principe de compatibilité : le processus de conception des tâches doit être compatible avec les objectifs poursuivis (exemple : si l'objectif est de s'appuyer sur les capacités créatives des individus, la conception se doit d'être participative)

Principe de spécification minimum : ne rien spécifier au-delà de l'essentiel

Contrôle des événements non programmés : doit se faire au plus près que possible de leur origine

Conception des frontières : les rôles qui requièrent un accès partagé à la connaissance et à l'expérience doivent être placés dans le même département

Système d'incitations : le système doit être cohérent avec le type de comportement que l'organisation entend favoriser (exemple : travail en équipe et rémunération individuelle constituent une solution incohérente)

Les fonctions des dirigeants

Quelques auteurs

Rôle du dirigeant

H. Fayol (école classique)

Toute entreprise comporte 6 fonctions principales : technique, commerciale, financière, de sécurité, comptable et administrative.

La fonction administrative est la responsabilité du dirigeant. Elle se résume en 5 exigences : prévoir, organiser, commander, coordonner, contrôler.

C. Barnard

Le rôle du dirigeant est de bâtir et d'entretenir un système coopératif, d'obtenir et de sécuriser la contribution des membres constitutifs de la coalition que constitue l'entreprise.

Dans cette perspective, il relève de la responsabilité du dirigeant :

  • de définir les finalités de l'organisation ;

  • de fournir les ressources nécessaires ;

  • d'organiser le système de communication ;

  • de gérer le système incitations/contributions.

P. Selznick (théorie de la bureaucratie)

La responsabilité du dirigeant est :

  • de donner une orientation ;

  • de développer les compétences distinctives de l'entreprise ;

  • d'assurer la cohérence des décisions dans la durés.

Le dirigeant doit être un agent d'institutionnalisation, celui qui dote l'entreprise d'un ensemble de valeurs. Equivalent d'un homme d'Etat, il est le promoteur et le gardien de l'entreprise considérée comme une institution.

P. Drucker (école néo-classique)

Un dirigeant efficace doit :

  • fixer les objectifs ;

  • organiser le travail ;

  • motiver et impliquer les personnels ;

  • établir des normes de performance ;

  • former les employés.

H. Mintzberg (théorie des configurations organisationnelles)

La description des tâches de direction que propose H. Fayol ne correspond pas aux réalités observables.

Le dirigeant assume en fait trois catégories de rôles:

  • des rôles interpersonnels : le dirigeant est à la fois chef symbolique, leader, agent de liaison;

  • des rôles informationnels : observation active, diffusion interne de l'information, porte-parole vis-à-vis de l'extérieur ;

  • des rôles décisionnels : recherche des opportunités, correction de l'action, répartition des ressources, négociation avec l'extérieur.

Le thème du changement dans les théories des organisations

Jusqu'aux années 1960, les théories des organisations ne traitent guère la question du changement, celui-ci n'étant pas considéré comme véritablement problématique. A la fin des années 1970, le changement commence à être traité comme un véritable sujet et à partir du milieu des années 1980 un certain nombre de théories spécifiques du changement organisationnel voient le jour.

Le tableau suivant résume la façon dont quelques courants théoriques majeurs traitent la question du processus de changement des organisations.

Courant théorique

Apports vis-à-vis du thème du changement

Remarques

Théorie de la contingence

Une série d'études s'inscrivant dans l'analyse de la bureaucratie et du modèle classique d'organisation montre qu'il existe de multiples formes organisationnelles et que leur efficacité dépend de l'adaptation au contexte. D'où une théorie implicite : les organisations non adaptées à leur contexte changeront pour assurer un meilleur ajustement, sinon elles auront une performance médiocre.

Le changement peut être activé par des facteurs externes (exemple : accroissement de incertitude de l'environnement) ou des facteurs internes (exemple : accroissement de la taille de l'organisation).

Le rôle du décideur est décisif, mais en même temps il n'a guère de liberté quant au choix de la forme organisationnelle, le contexte étant essentiellement contraignant.

Cette vision du changement développée par la théorie de la contingence fera l'objet de différentes contestations.

En exposant sa théorie du «choix stratégique », J. Child (1972) conteste l'idée que les organisations sont déterminées par leur contexte et que les décideurs ont peu de liberté de choix. Il ira jusqu'à considérer que les organisations peuvent choisir de ne pas s'adapter.

Par ailleurs, la théorie des configurations organisationnelles cherchera à dépasser le simplisme de la théorie de la contingence, incapable d'expliquer comment des organisations peuvent faire face à des exigences contradictoires, et montrera que la stratégie, la structure et les systèmes de gestion d'une organisation forment une configuration.

Deux dynamiques jouent alors contre le changement. D'une part un phénomène d'impulsion selon lequel une configuration tend à se maintenir du fait du caractère imbriqué de ses composants. Dès lors, le changement est perturbant et coûteux. D'autre part un processus de simplification selon lequel les organisations développent une préoccupation dominante pour un seul but, une seule vision du monde ; ce thème orchestrateur est amplifié au point où l'organisation devient déséquilibrée.

Théorie béhavioriste

(école « Carnegie »

Le centre d'intérêt est de savoir comment les organisations s'adaptent à leur environnement plutôt que celui de la forme organisationnelle qui serait cohérente avec tel ou tel contexte.

La théorie behavioriste accorde une attention particulière aux routines que les décideurs utilisent pour traiter les flux ambigus d'information. Une de ces routines réside dans le fait que les décisions sont activées par des problèmes de performance. La solution des problèmes de performance est elle-même engendrée par d'autres routines (exemples : décomposition des problèmes complexes en sous-problèmes confiés à des sous-unités différentes qui appliqueront leur propre logique ; recherche des solutions au voisinage des pratiques actuelles).

Les règles de décisions sont dépendantes de l'histoire de l'organisation.

L'attention aux problèmes est séquentielle.

La direction du changement est donnée par les interprétations de la coalition dominante de l'organisation.

La théorie behavioriste présente des parentés avec la théorie de la contingence et la théorie du choix stratégique : l'alignement de l'organisation avec son contexte détermine la performance, la direction générale de l'organisation joue un rôle essentiel, l'adaptation est normale et le processus de changement est évolutif plutôt que radical.

Cette théorie met l'accent sur l'apprentissage par l'expérience

Des travaux plus récents sur les routines tendent à montrer qu'elles ne sont pas des mécanismes contraignants, sources d'inertie, mais des processus d'expérimentation qui permettent l'apprentissage.

Théorie de la dépendance en ressources (TDR)

La TDR met en avant 3 aspects de la vie des organisations : les ressources, le contexte comme composé d'un réseau d'autres organisations, le fait que les organisations cherchent à éviter de devenir très dépendantes des autres organisations, tout en exploitant les situations où celles-ci sont dépendantes d'elles. Les organisations cherchent à influencer et à dominer leur environnement de ressources, et pas simplement à s'y adapter.

Selon la TDR, un mauvais alignement de l'organisation avec son environnement induit une baisse de performance. Ce mauvais alignement est d'ordinaire le résultat d'un changement externe. Il entraîne une pression pour remplacer le dirigeant en place par un autre plus à même de traiter la nouvelle dépendance. Ce changement de dirigeant entraîne un changement de forme organisationnelle.

La TDR attire l'attention sur un certain nombre de phénomènes importants de la vie des organisations : le rôle de la cooptation comme moyen de contrôler les dépendances vis-à-vis des détenteurs de ressources, celui des cadres cognitifs des dirigeants et de la répartition des pouvoirs, l'importance des structures de régulation des secteurs d'activité.

La TDR attire l'attention sur la façon dont les organisations influencent leur contexte, mais les points de vue diffèrent

Pour H. Aldrich (1979), les grandes entreprises peuvent dominer leur environnement mais le plupart des organisations sont trop petites pour le faire. Les managers peuvent chercher à gérer les contraintes mais pour l'essentiel ils doivent s'adapter

Pfeffer (2003) considère que les organisations ont les moyens de négocier leur position dans le cadre de contraintes ; le choix stratégique est possible et parfois efficace.

Théorie néo-institutionnelle

(TNI)

La TNI considère que les comportements organisationnels ne sont pas des réponses aux seules pressions du marché, mais aussi et surtout des réponses à des pressions institutionnelles provenant d'organes de régulation, d'organisations en position de leadership, de la société en général. L'un des thèmes majeurs de la TNI est celui de l'homogénéisation des formes et des pratiques organisationnelles au cours du temps qui se produit au sein d'un champ organisationnel. Ce faisant, la TNI expose une théorie du changement convergent vers une forme organisationnelle dominante selon un processus qualifié d'isomorphisme institutionnel.

La TNI s'est progressivement enrichie en traitant de questions qu'elle avait tendance à négliger au départ : notamment celles du changement institutionnel lui-même et de la variété observable des réponses des organisations, appartenant au même champ, aux mêmes pressions institutionnelles.

Théorie de l'écologie des populations

(TEP)

Comme la théorie de la contingence, la TEP cherche à expliquer la multiplicité des formes organisationnelles observables. Elle considère que la survie de l'organisation dépend de son ajustement aux forces du marché.

Sa spécificité est de se placer à un autre niveau d'analyse, celui des populations d'organisations. Ce choix découle de la contestation de l'idée qu'une organisation peut s'adapter à des modifications de contexte en passant d'une forme organisationnelle à une autre. La TEP met l'accent sur la sélection plutôt que sur l'adaptation pour expliquer le changement organisationnel : les organisations « adaptées » sont sélectionnées pour survivre et les autres sont éliminées.

L'un des thèmes clés de la TEP est de ce fait celui de l'inertie structurelle : de nombreux facteurs (coûts enfouis, routines, coalitions politiques) limitent les capacités d'adaptation de l'organisation individuelle.

Compte tenu du niveau d'analyse retenu et de la centralité du thème de la sélection des formes organisationnelles par l'environnement, les travaux en écologie des populations se traduisent en études démographiques sur longue période (apparition et disparition des formes organisationnelles au cours du temps).

Comme de nombreux courants, la TEP a évolué dans la durée, par exemple en prêtant davantage d'attention au phénomène d'adaptation et non plus seulement de sélection.

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