Lecture des environnements institutionnels

Déconstruction de la vision traditionnelle de la décision

Il ne s'agit pas pour lire les environnements institutionnels de se contenter d'identifier les objectifs et les contraintes mais bien d'ouvrir la boîte noire que constituent les logiques d'acteurs.

Il convient aussi d'identifier les acteurs qui participent au système d'action concret pour analyser leurs stratégies et comprendre les ressorts de leurs comportements.

Si la décision dans ce contexte relève d'interactions entre des pluralités d'acteurs, nous retrouvons la question de leur rationalité ; qu'il s'agisse des préférences des acteurs explicites-non explicites et stables- non stables comme des jeux d'asymétrie informationnelle.

Négociations, démarches mutuelles entre acteurs, pas à pas, permettent de conduire, dans un environnement « hypercomplexe », le changement ; mais cette conduite se fait souvent « à la marge » étant données les diverses régulations qu'elle nécessite.

« Non seulement les domaines d'action de l'administration se sont étendus, mais les techniques utilisées par les décideurs publics se sont diversifiées et sophistiquées : les sociétés contemporaines sont fondamentalement des sociétés régulées »

« Le décideur loin d'affirmer des objectifs fixés une fois pour toutes, n'hésitera pas à modifier ses buts en fonction des résistances, à faire des concessions, à multiplier les alliances, à jouer avec le temps etc... » 

Auteur des citations : Pierre Muller

Graham Allison (L'essence de la décision, 1971), propose la problématique de l'hyperchoix donc de l'arbitrage entre des variables hétérogènes : selon lui la chaîne de décisions est un processus d'élagage progressif au cours duquel sont peu à peu gommées les aspérités pour que se dégage un consensus minimal entre protagonistes.

Complément

« On sait que les travaux de March, Simon, Cohen et quelques autres ont mis en lumière les limites de la rationalité des systèmes de décision en soulignant l'importance des structures cognitives des systèmes de décision et les limites de la capacité des acteurs mobiliser les informations pertinentes En réalité le moment de la décision apparaît comme un processus insaisissable au cours duquel des acteurs de nature différente politiques fonctionnaires groupes intérêt... vont participer une sorte de décantation progressive des choix qui ne sont jamais donnés au départ en mobilisant de manière peu cohérente des informations et des données extraordinairement hétérogènes. L'image conventionnelle du décideur étalant devant lui ensemble des données du problème se substitue celle du fonctionnement désordonné de systèmes acteurs mélangeant avec plaisir des informations parcellaires ou tronquées... »

Lire Pierre Muller. L'analyse cognitive des politiques publiques : vers une sociologie politique de l'action publique. In: Revue française de science politique, 50e année, n°2, 2000. pp. 189-208.

doi : 10.3406/rfsp.2000.395464

URL : http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rfsp_0035-2950_2000_num_50_2_395464

Le fonctionnement du milieu décisionnel

En matière d'analyse de politiques publiques, Catherine Grémion du CSO identifie quatre cercles de la décision : un cercle politique constitué par les membres du gouvernement, un cercle constitué des administrations réparties en secteur, un cercle constitué des acteurs extérieurs à l'Etat et enfin un cercle juridictionnel qui valide ou non les projets. Mais ces quatre cercles ne sont pas parfaitement étanches et la distinction entre sphère administrative et sphère politique est parfois difficile à établir.

Tableau récapitulatif 8

Premier cercle

Constitué par le gouvernement

Les logiques partisanes se heurtent aux exigences de la régulation.

Deuxième cercle

Constitué des administrations sectorielles

Il s'agit de promouvoir les intérêts sectoriels en les ajustant le mieux possibles aux exigences globales

Troisième cercle

Constitué des acteurs extérieurs à l'Etat (société civile)

Syndicalistes, organisations professionnelles ou patronales, associations, entreprises publiques ou privées, média.

Acteurs du lobbying

Quatrième cercle

Constitué de l'ensemble des organes politiques et juridictionnels

Valide ou invalide les projets

Réseaux et forums

Ce travail de déconstruction des systèmes de décisions nécessite d'identifier les configurations d'acteurs qui transcendent le cadre administratif traditionnel afin de pouvoir prendre en compte une multitude de phénomènes qui remettent en cause les visions classiques : multiplication et diversification des acteurs; sectorisation/fragmentation/décentralisation de l'Etat; affaiblissement des frontières entre le public et le privé; importance des acteurs transnationaux.

La complexification des systèmes de décisions nécessite de comprendre les mécanismes de conflits, négociations et coalitions souvent portés par des réseaux.

ComplémentAller plus loin

« L'histoire récente de l'analyse des politiques publiques est partagée en deux approches. L'une définit une politique publique comme «l'action des autorités publiques» » (Mény (Y.), Thoenig (J.-C), Politiques publiques, Paris, PUF, 1989, p. 9 et p. 14) « en surdéterminant leur rôle, notamment décisionnel, dans un schéma linéaire et séquentiel qui doit beaucoup à la rationalité instrumentale. L'autre, au contraire, insiste sur l'aspect incrémental de l'action publique, voire sur la construction de celle-ci par des acteurs multiples et peu hiérarchisés ; bref, elle met l'accent sur la «dé-différentiation» de l'État. C'est dans cette deuxième lecture qu'il faut bien évidemment inscrire l'approche par les «réseaux», ceux-ci étant définis dans la contribution de R. Rhodes et D. Marsh comme «un concept qui fournit un lien entre le niveau micro, celui qui s'intéresse au rôle des intérêts et du gouvernement dans le cadre de décisions politiques particulières, et le niveau macro de l'analyse qui s'intéresse lui à des questions plus larges sur la distribution du pouvoir dans les sociétés contemporaines. »

Massardier Gilles. P. Le Gales, M. Thatcher, dir. Les réseaux de politique publique. Débat autour des policy networks. In: Politix. Vol. 10, N°37. Premier trimestre 1997. pp. 177-183.

doi : 10.3406/polix.1997.1660

URL : http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/polix_0295-2319_1997_num_10_37_1660

L'influence du jeu des acteurs ne s'arrête pas à la constitution de réseaux autour de coalition de cause ou de défense d'intérêts particuliers, elle construit également à travers les forums, des matrices cognitives agissant comme des référentiels. Ainsi l'association de Forums scientifiques (qui fournissent l'expertise), de Forums de la communication politique (qui mettent en œuvre une rhétorique) et de Forums des communautés politiques (qui conduisent les débats) établit un cadre conforme à l'univers cognitif des acteurs qui se stabilisent dans le temps.

Dans Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique de Michel Callon, Pierre Lascoumes et Yannick Barthe (Éditions du Seuil, 2001), les forums hybrides sont présentés comme les lieux protéiformes de rencontres entre savants, experts, citoyens etc... autour de controverses socio-techniques qui surgissent autour de l'apparition de nouvelles technologies, voire de nouveaux traitements de maladies.

Groupes d'intérêt et coalition de cause

La façon dont la pression de groupes d'intérêt peut intervenir dans le cadre du déploiement de l'action publique doit faire également l'objet d'une attention particulière. Cette pression est plus moins officialisée et plus ou moins opaque.

La question reste entière de savoir si le lobby est un signe de vigueur de la société civile ou le signe de la montée des égoïsmes catégoriels ?

Si des formes de lobby non-officielles, illégales et répréhensibles existent bel et bien, on peut également attirer l'attention sur des formes très institutionnalisées et officielles. On peut parler de «système compétitifs pacifiés » (Michel Offerlé, Sociologie des groupes d'intérêt) dans une démocratie fonctionnant avec transparence. Le lobby n'est pas alors considéré comme un passe-droit mais comme l'institutionnalisation du dialogue naturel entre parties prenantes. Il ne s'agit pas de prendre le pouvoir (comme c'est cas pour les partis politiques) mais de faire reconnaître et faire prendre en compte des revendications particulières et spécifiques, en toute légitimité et toute légalité.

ComplémentAller plus loin

L'expertise un mode de participation des groupes d'intérêt au processus décisionnel communautaire par Sabine Saurugger (2002)

URL : http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rfsp_0035-2950_2002_num_52_4_403725

Ainsi est-il possible de faire un focus sur l'Advocacy Coalition Framework(ACF) valorisant les coalitions de cause. L'ACF (Jenkins-Smith et Sabatier, 1993), dans le cadre  des analyses « non marché », est particulièrement adapté pour observer des tendances et des modifications sur des périodes moyennement longues tenant sur une à deux ou trois décennies.

Ce cadre théorique nécessite de mobiliser à la fois un travail archivistique important (analyse de textes réglementaires, de communications officielles, d'outils de communications institutionnels etc.) et une approche par les acteurs, notamment les « faiseurs de politiques publiques » (approche qualitative basée sur des entretiens avec des acteurs, des analyses de discours de responsables publics etc...).

Ce modèle est particulièrement pertinent pour comprendre comment des croyances normatives et des visions du monde sont pratiquement mises en œuvre par les décideurs publics et faiseurs de politiques publiques ; comment des « coalitions de causes » à l'intérieur même des institutions peuvent infléchir des orientations de politiques publiques et par conséquent provoquer des changements plus ou moins significatifs.

Pourtant il est possible d'observer que les tentatives d'influence et d'infléchissement restent globalement ancrées sur un socle profond de croyances communes. On note donc une stabilité certaine (perceptions des problèmes, visions et valeurs partagées, organisations et allocations des ressources disponibles, règles et normes induites), en dépit d'aménagements à la marge qui satisfont à un moment ou un autre, telle ou telle coalition de causes (outils proposés, choix de thématiques prioritaires, schémas de financements, désignations de bénéficiaires).

Bien évidemment ce système de croyances stable peut être impacté par des éléments contingents provenant de l'environnement extérieur (opinion publique, contexte budgétaire, changements politiques, etc.). Mais finalement ces éléments de contingence n'infléchissent qu'à la marge le design des politiques publiques en modulant leur architecture et leurs outils de mise en œuvre, sans les réformer totalement.

Fondamental

L'ACF propose pour comprendre cela une distinction entre les « deep core beliefs » (les croyances du noyau central), les « policy core beliefs » (les croyances propres à une politique particulière) et enfin les « secondary beliefs » (les aménagements à l'intérieur de cadres particuliers).

Ainsi il convient d'insister sur l'incrémentalisme contre l'idée d'une analyse de politique publique de type séquentielle, selon laquelle il y aurait « un processus de décision dans lequel les acteurs ordonnent leur action de manière hiérarchique à partir d'une décision prise en haut ». A l'instar de Lindblom (1959) qui privilégie l'approche incrémentaliste dans l'analyse des politiques publiques. Il s'agit alors de déconstruire la cohérence que les décideurs veulent donner de l'instrument pour mettre en évidence les logiques administratives sous-jacentes, et « la complexité des réseaux d'acteurs qui participent à l'action publique ».

Rappel

Une lecture des environnements institutionnels par le prisme de l'action publique permet de prendre la mesure de la complexité à l'œuvre en termes de diversité des acteurs impliqués (publics/privés, commanditaires/destinataires, entreprises/administrations etc...), des conflits de rationalités ou au contraire des stratégies d'alliances qui en découlent (groupes d'intérêt, lobby, forums experts, forums hybrides etc...), mais surtout des nouveaux modes de réponses apportées aux besoins de la société civile.

Les modes de participation à la prise de décision seraient ainsi moins centralisés, et moins hiérarchisés en faveur d'une régulation multipolaire associant de nombreuses parties prenantes. Ainsi l'action publique remet en cause une vision simpliste du rôle des institutions qui imposeraient, par le haut, règles et normes pour soutenir l'idée d'une construction sans cesse renouvelée de leur rôle par des processus incrémentaux basés sur le dialogue entre les parties impliquées.

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