Introduction au management des universités

Trouver des mots pour le dire et des schémas pour penser

Les mots pour le dire

Les mots traduisent toujours des « versions interprétées » du réel. Il est souvent difficile de les changer, car ils sont l'expression d'une interprétation figée de ce qu'on prend pour la réalité (« les mots deviennent les choses », « la traduction semble ce qu'elle est supposée traduire »).

Exemple

Par exemple, certains enseignants sont surpris (et mécontents) qu'on parle de « produits » pour les formations ou de « services » pour leur environnement pédagogique, en lien avec les besoins perçus des étudiants. Car cela change leurs perspectives. Cela les met en situation d'être évaluables par un marché, mis en concurrence, etc.

Cette évolution de langage est du même ordre que l'usage du mot « clients » qui, dans la fonction publique, vient bousculer le terme habituel de « bénéficiaires » ou d' « usagers ». Un bénéficiaire ne paie pas (c'est un ayant droit !), mais c'est aussi un receveur muet qui ne doit ni se plaindre, ni discuter de ce qu'il reçoit (les étudiants paient peu, ils ont seulement les prestations qu'on a les moyens de leur donner !).

Les schémas pour penser

Les modèles d'analyse ou schémas de pensée permettent de rendre visible ce qu'on ne verrait pas sans leur description ou leur mise en scène du réel.

Ils explicitent ce qui ne l'était pas, ils clarifient, apportent du sens, ce qui permet de mieux parler de l'existant, de procéder à des améliorations ou, si besoin, d'introduire des changements.

Plus profondément, par leur étayage scientifique ou formel, ils se confrontent aux « cartes cognitives » que chacun utilise sans en avoir toujours conscience, pour interpréter le réel et agir sur lui.

Le débat autour des modèles est un moyen de mettre à jour ces « cartes » et de les modifier.

Complément

Nous avons tous un subconscient managérial qui nous fait croire que nous aurions une sorte de compétence infuse (ou mystérieusement acquise) pour prévoir, organiser, décider, commander, coordonner ou contrôler (selon la définition du management selon Fayol).

C'est loin d'être toujours le cas. Nous sommes souvent armés de modèles fragiles, pas toujours adaptés, insuffisants et faussement généralisateurs. Il est donc important d'en acquérir d'autres, par une « pédagogie progressiste » (le mot est de SNYDERS) qui ne nie pas nos acquis, mais les élargisse à d'autres points de vue ou à d'autres perspectives.

Complément

En management universitaire, on peut construire certaines modélisations sur un partage d'expériences vécues, à condition que celles-ci soient mises en mots et confrontées.

C'est ce que propose la théorie de L'EXPERIENCING (GARNEAU, 1973) qui s'appuie sur des expériences subjectives vécues dans le présent. Les significations ressenties sont des données brutes de la vie psychique (par exemple des sentiments, des sensations corporelles). C'est un matériau qui prend un relief nouveau quand on y fait plus précisément attention. Il acquiert d'autant plus d'intérêt qu'on peut le mettre en symboles, c'est-à-dire en ensembles de mots, d'images ou de gestes servant à traduire, à souligner ou à représenter tout ou partie des significations ressenties. Cette symbolisation tient lieu d'instrument d'expression et de clarification.

Méthode

Parmi les moyens possibles d'y parvenir, citons la focalisation. C'est une pratique active qui consiste à se centrer sur les expériences vécues et à les symboliser progressivement. Elle consiste en quatre étapes :

  • la référence directe à un évènement ou un processus qu'on a vécu (« je sens qu'il y a là quelque chose à comprendre, je le sais, mais je ne sais pas exactement quoi ») ;

  • le déploiement (par clarification, explicitation, mise en évidence des points à interpréter) ;

  • l'application globale (on fait le lien avec d'autres évènements ou situations, on acquiert la possibilité d'en utiliser les conséquences dans l'action) ;

  • l'ancrage interne des acquis, ce qui fait sortir le problème en question du champ de ses préoccupations (on s'en libère pour se déplacer vers d'autres questions à résoudre).

Si l'on veut faciliter la focalisation à plusieurs, autrement dit la mise en référentiel partagé d'une expérience, il faut construire un climat affectif favorable. En particulier, on doit respecter les autres, avoir de l'empathie pour ce que chacun éprouve et se montrer sincère (capable d'exprimer ce qu'on pense et ressent). Ces trois qualités fournissent la sécurité nécessaire à une démarche d'exploration commune.

Dans ce qui suit, nous allons proposer quelques modèles permettant d'interpréter différents domaines du management universitaire. Rappelons néanmoins qu'il s'agit d'une introduction générale et qu'il sera impossible d'être exhaustif.

Pour conclure cette deuxième partie, prenons un modèle déjà ancien, qui date d'avant les dernières années de réforme des universités (SUPIOT, 2007). Comme on le verra, il présente l'intérêt et les limites de n'importe quel modèle :

  1. il réduit la complexité du réel,

  2. il permet de prendre position,

  3. il s'organise autour de « vérités constatées » (qui sont le produit de sa simplification raisonnée),

  4. il en tire des préconisations d'action.

La valeur d'un modèle, c‘est aussi qu'on puisse le critiquer, le contester. C'est qu'on s'en serve pour le dépasser, pour aller plus loin ou démontrer autre chose. Ce faisant, on progresse, par interprétations et réfutations successives, jusqu'à construire des modélisations plus subtiles et plus réalistes, dont les démonstrations puissent développer de fortes utilités opérationnelles.

Exemple

Les universités se portent mal, mais il n'y a pas de consensus sur les remèdes. On les accuse d'enfermement, de frilosité, de médiocrité, d'hostilité à l'émulation, mais on ne cherche pas à réformer l'ensemble. On apporte des palliatifs qui succombent à leur tour aux maux qu'ils sont censés combattre, avec l'extravagance des empilements.

Il n'est pas possible de changer seulement les statuts ou les structures. Il faut repérer les compétences individuelles pour créer de la compétence collective, permettre une énergie de réseaux (sans bureaucratie asséchante), donner des repères, des idées et des outils pour mieux fonctionner. Au-delà d'une plus grande autonomie, il y a quatre maux pour lesquels il faut des soins urgents :

  • l'uniformisation : on doit reconnaître la diversité du tissu universitaire, en acceptant de fait qu'il y ait des universités de différentes sortes ;

  • la pauvreté : le manque d'emplois administratifs et techniques, le faible encadrement des activités, la pauvreté globale des rémunérations obligent à aller chercher ailleurs des moyens de vie ;

  • l'irresponsabilité : il est temps de construire une évaluation globale qui évite les gaspillages, les partis pris idéologiques, les négligences, l'inconsistance (« le mélange de l'autonomie et de l'irresponsabilité est détonnant ») ;

  • le repliement sur soi : il y a des efforts d'ouverture, mais on observe « une préférence locale » généreusement accordée aux candidats indigènes au détriment des concurrents extérieurs. D'où l'autarcie disciplinaire, avec des boucles spéculatives d'où se dégagent des indicateurs d'excellence déconnectés du progrès des connaissances, une perte de profondeur historique des savoirs, etc.

Alain SUPIOT, Nouvel Economiste, juin 2007

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