Le choix entre la diffusion ou la protection de la connaissance
Notre réflexion sur l'économie de la connaissance nous permet de relever une tension entre la logique du privé (qui protège sa production de savoirs et la commercialise) et une logique publique de communauté de savoirs (qui considère la production de connaissance comme un bien commun, dans le cadre de ce qu'on peut qualifier de « science ouverte »).
En effet, le paradoxe créé par la privatisation de la connaissance fait que l'on crée une rareté artificielle dans un domaine où l'abondance devrait être la règle. Car la connaissance n'est pas un bien physique : le fait de la partager ne la réduit pas, le fait de la partager permet au contraire de la décupler.
Pour comprendre ce paradoxe, on utilisera la notion de non-rivalité dans l'usage.
Définition :
La connaissance est un bien non-rival, c'est-à-dire que l'usage par plusieurs personnes d'une même connaissance n'en augmente ni le coût de production, ni ne diminue sa quantité « disponible ».
Cependant considérée la connaissance comme un bien économique, créateur de richesses, conduit à en réduire l'usage, par l'application de droit de propriétés notamment, ce qui peut impliquer une limitation du progrès collectif.
La question de la propriété intellectuelle (et industrielle) a un impact sur les modes de diffusion et de protection de la connaissance.
Diffusion dans le cadre de la science ouverte | Diffusion dans le cadre de la science privée |
Bien commun à l'intérieur de communautés de savoirs Consortia et réseaux collaboratifs Règles de réciprocité, accord de divulgation, confiance, respect etc... Principe de la diffusion par la publication scientifique Prévalence du modèle académique | La connaissance nouvelle est contrôlée, protégée, valorisée. Afin de créer de la valeur économique Dépôt de brevets Dépôt de marque Dépôt de dessins ou de modèles Valorisation économique de la connaissance |
La problématique « diffusion versus protection » pose la question plus particulièrement de la relation entre l'université et l'entreprise dans le cadre de ce que l'on appelle désormais la valorisation de la recherche. Les universités protègent désormais leur production de connaissances et entrent dans une logique de contractualisation de la recherche avec le monde de l'entreprise, logique qui supplante celle de la collaboration.
Complément :
Document 13 : Le Rôle des universités dans l'Europe de la connaissance. En ligne sur le site EUROPA
http://europa.eu/legislation_summaries/education_training_youth/lifelong_learning/c11067_fr.htm
consultation 7-10-2011
« Compte tenu de leur rôle central, la création d'une Europe fondée sur la connaissance représente pour les universités une source d'opportunités, mais aussi de défis considérables. Les universités opèrent en effet dans un environnement de plus en plus mondialisé, en constante évolution, marqué par une concurrence croissante pour attirer et garder les meilleurs talents et par l'émergence de nouveaux besoins, auxquels elles se doivent de répondre. Or, les universités européennes ont généralement moins d'atouts et de moyens financiers que leurs homologues d'autres pays développés, plus particulièrement aux États Unis. La question se pose donc quant à leur capacité à concurrencer les meilleures universités au monde tout en assurant un niveau d'excellence durable. Cette question est particulièrement d'actualité dans la perspective de l'élargissement, compte tenu de la situation souvent difficile des universités dans les pays candidats, en termes de ressources humaines comme de moyens financiers. » Communication de la commission européenne (5 février 2003)
On peut aller plus loin encore en examinant la question de l'innovation ouverte. Le processus de l'innovation ouverte (open innovation) souligne le rôle croissant des sources externes d'innovation (externalités) par opposition aux ressources internes, et notamment aux capacités propres de R&D de l'entreprise.
Complément :
Document 14 : SACHWALD en ligne sur le site du Ministère de l'Enseignement Supérieur
consultation 7-10-2011
« Réseaux mondiaux d'innovation ouverte, systèmes nationaux et politiques publiques », de Frédérique Sachwald, 2008
« Le choix des instruments de développement dépend des compétences et des capacités d'absorption de l'entreprise. A mesure que l'entreprise s'aventure sur des marchés pour lesquels elle manque de ressources technologiques ou commerciales, le risque s'accroît et elle doit recourir à des modalités de développements partenariaux. Moins l'entreprise dispose de ressources dans les domaines où elle souhaite se positionner, plus elle doit accepter des partenaires qui conservent leur indépendance. Ils assument une part du risque du projet, mais bénéficieront aussi d'une part des profits. »
Tout le long du schéma de l'innovation ouverte (en opposition à un schéma d'innovation interne à l'entreprise) le flux de production de connaissances est nourri de nombreux intrants (inputs) venant de sous-traitants, des clients, des consultants, d' institutions universitaires, des laboratoires publics ou privés, etc...) et qui sont « contractualisés » (contrats de recherche, achat de licences, achat de brevets, capital-risque...). Cet « enrichissement » de ressources externes à l'entreprises décuple les possibilités d'innovation, et les extrants (outputs) sont alors aussi plus nombreux jusqu'à la mise sur le marché de nouveaux produits ou procédés (nouveaux contrats avec les partenaires publics tels que les universités et les organismes de recherche, dépôt ou achat de nouveaux brevets, achat ou cession de nouvelles licences d'exploitation, etc.... ).
L'économie de la connaissance induit une production de connaissance (voire une concentration des efforts de recherche) proche des besoins du marché.
Attention :
L'open innovation ne signifie pas gratuité des échanges de connaissances (quoique cela soit possible) mais « enrichissement » mutuel par « contractualisation » bien comprise de la connaissance, dans un flux très largement ouvert entre parties prenantes.
Complément :
Document 15 : CHESBROUGH
Vidéo de Henry Chesbrough au sujet de l'Open innovation (4 minutes environ), consultation 7-10-2011.
à lire Dominique PESTRE (2003)
Science, argent et politique : un essai d'interprétation, INRA éditions, p 201.
P115 : « (...) on tend à passer d'un régime de production combinant deux systèmes en relatif équilibre, l'un de la science ouverte et l'autre de la science privée, à un régime qui cherche à faire du premier le seul servant de l'autre (...) »
P117 : « De moins en moins de moyens ont été disponibles pour s'opposer aux règles du marché dans l'univers de la production des savoirs, un mouvement facilité par la nature des technosciences et de ce qu'elle produit comme biens, notamment dans les sciences du vivant et dans les sciences et techniques de la communication et de l'information ; mais aussi du fait des transformations politiques et sociales, des systèmes de valeurs comme des formes légales encadrant la recherche et l'innovation. La législation sur les brevets, comme la jurisprudence ont été ici décisives : elles ont largement étendu le champ du brevetable et constitué le moyen privilégié par lequel l'univers marchand en est venu à changer les équilibres antérieurs et à faire prévaloir la norme de la marchandisation comme la seule qui soit vraiment efficace. »
Document 16 : PESTRE, historien et sociologue des sciences.
Vidéo de Dominique Pestre sur « Sciences et société. » 5 minutes environ., (source : Fondation93 )
Document 17 : CASSIER en ligne sur Cairn
http://www.cairn.info/article.php?ID_REVUE=RISS&ID_NUMPUBLI=RISS_171&ID_ARTICLE=RISS_171_0095
M. Cassier (2002) « Bien privé, bien collectif et bien public à l'âge de la génomique », RISS, 171, p.95-110.
consultation 7-10-2011
Extrait de l'introduction
« Dans son ouvrage sur « le commerce des gènes dans le meilleur des mondes », J. Rifkin (1998) établit un parallèle entre l'extension contemporaine des droits de propriété intellectuelle sur les ressources génétiques et la loi sur les enclosures, qui organisa au XVIIe siècle la privatisation des biens communaux en Angleterre. Cette tendance à la privatisation renvoie à une intégration inédite de la science et des marchés. Premièrement, il s'est formé au cours des années quatre-vingt-dix un secteur et un marché privés de la recherche génomique, avec la création de sociétés de recherche directement adossées aux marchés financiers. Deuxièmement, les agences publiques de recherche et les institutions académiques ont intensifié la commercialisation de leurs travaux, encouragées par l'adoption de lois qui visaient à augmenter l'appropriabilité et la transférabilité des connaissances produites sur fonds publics. Cette intégration nouvelle de la recherche et des marchés débouche sur le brevetage massif des séquences génétiques, l'extension de bases de données protégées par le secret commercial, l'établissement de contrats d'accès exclusif aux données génétiques et médicales de certaines populations, la multiplication d'accords de recherche ou de transfert de matériels qui définissent des droits d'usage réservé.»