La production de connaissances sur les organisations

Conclusion

La production de connaissances sur les organisations peut se concevoir de différentes façons.

Si le modèle classique de la science constitue une source d'inspiration, on a vu qu'il ne se transpose pas aisément à l'objet qui intéresse ce champ disciplinaire. Certains théoriciens tentent de s'en approcher le plus possible, d'autres le rejettent comme étant tout à fait inadapté à l'étude d'objets socialement construits. De façon très résumée, cette opposition renvoie à la distinction que le philosophe allemand W. Dilthey a établie entre deux méthodes scientifiques :

  • l'explication (Enklären) : il s'agit de rechercher les causes d'un phénomène en procédant de façon objective, de façon à dégager des lois. Cette méthode serait propre aux sciences de la nature ;

  • la compréhension (Verstehen) : l'homme étant à la fois le sujet et l'objet de la recherche, la démarche consiste à reconstituer, par empathie, les motifs conscients et le vécu des sujets agissants. Cette méthode serait propre aux sciences de l'esprit.

Complément

Au-delà de cette opposition générale entre deux méthodes scientifiques, il existe en théorie des organisations différentes conceptions de ce qu'est ou devrait être une « bonne » théorie.

Il est possible d'en relever au moins quatre :

1 - l'approche « classique »

D'inspiration plutôt positiviste, elle a été explicitée dans le premier numéro d'une revue académique considérée comme l'une des plus importantes (la revue « Administrative Science Quarterly », créée en 1956). Selon cette conception, une bonne théorie en théorie des organisations devrait comporter quatre éléments :

  • un ensemble de concepts abstraits qu'il est cependant possible d'opérationnaliser, et de relations entre concepts qu'il est possible de soumettre au test empirique ;

  • un énoncé général, transcendant les différents types d'organisations et de contextes ;

  • un énoncé complet, c'est-à-dire prenant en considération les multiples niveaux d'analyses possibles, s'appuyant sur un large spectre de sciences sociales, et saisissant l'ensemble des comportements de et dans les organisations ;

  • un énoncé permettant une production cumulative de connaissances, avec un pouvoir explicatif croissant dans le temps.

2 – l'approche dite des « mécanismes sociaux »

Cette approche se veut être une position intermédiaire entre la pure description des phénomènes organisationnels et la formulation de lois universelles.

Il s'agit de mettre au jour des mécanismes sociaux, c'est-à-dire des relations de cause à effet, mais qui ne valent pas pour tous les contextes et qui ne peuvent véritablement posséder un pouvoir prédictif.

Pour ses défenseurs, cette approche est particulièrement utile pour expliquer les phénomènes de changement organisationnel, et particulièrement adaptée au contexte contemporain fait de réalités organisationnelles en changement constant.

Avec cette conception, il ne peut plus être question de théorie générale, ni de développement cumulatif, ni de pouvoir prédictif de la théorie.

3 – l'approche postmoderniste

En matière d'études organisationnelles, l'expression « postmodernisme » possède différentes significations :

  • elle est utilisée pour marquer le fait que les organisations contemporaines seraient qualitativement différentes (postmodernes) de celles qui les ont précédées (les organisations modernes) ;

  • d'un point de vue méthodologique, le postmodernisme a pour projet de déconstruire les interprétations dominantes des phénomènes organisationnels. Il s'agit de montrer que les interprétations scientifiques ne sont pas neutres en termes de valeurs sousjacentes, voire qu'elles reposent sur une idée contestable de l'existence d'une réalité organisationnelle indiscutable ;

  • d'un point de vue épistémologique, le postmodernisme conteste toute tentative de révéler la vérité sur les organisations. Il n'existe en fait que des interprétations multiples d'une réalité présumée ;

  • sur un plan théorique, tout en conservant un certain degré de scepticisme quant à l'existence indépendante de la réalité organisationnelle, l'approche postmoderniste cherche à développer de nouvelles compréhensions des phénomènes organisationnels. Elle le fait le plus souvent en adoptant le point de vue d'acteurs que les approches classiques tendent à négliger ou à ignorer (par exemple : les subordonnés, les femmes, les minorités).

4 – le réalisme critique

Le réalisme critique constitue une troisième voie entre le positivisme et le postmodernisme.

Comme l'approche par les mécanismes sociaux, le réalisme critique cherche à identifier les mécanismes qui produisent les phénomènes organisationnels, mais il le fait sur la base d'une représentation stratifiée de la réalité en trois niveaux :

  • le domaine empirique (ou les expériences) : il désigne l'expérience concrète des acteurs, les événements qu'il vivent, leurs perceptions de la réalité ;

  • le domaine de l'actuel (ou les événements) : il comprend les événements, qu'il soient perçus ou non par les acteurs. Il est donc possible que des choses se produisent sans que les acteurs les perçoivent ou en fassent l'expérience ;

  • le domaine du réel (ou les structures) : il s'agit de structures sous-jacentes qui sont à l'origine des événements. C'est à ce niveau que se situent les mécanismes causaux responsables de la génération des événements directement vécus. Ces mécanismes sont cependant actionnés en fonction du contexte et du comportement des agents.

Le réalisme critique ne soutient pas que les théories décrivent la réalité. La vérification ou la falsification ne peuvent jamais être tenues pour entièrement concluantes. Les théories doivent donc être éprouvées en permanence. Par ailleurs, toute généralisation de résultats d'un contexte à un autre doit être réalisée avec prudence en raison du caractère ouvert des systèmes sociaux.

Il ne s'agit pas ici de trancher de façon absolue entre ces différentes conceptions, mais de se rappeler que la production de connaissances sur les organisations présente des spécificités que toute démarche devrait garder présentes à l'esprit :

Attention

  • un chercheur examine un objet, avec lequel il est plus ou moins en relation, et à cette fin, utilise un système de représentation : un vocabulaire, des cadres conceptuels, des techniques de recherche, des modes de pensée, etc. ;

  • ce système de représentation constitue un acte de construction au sens où il met au jour des aspects de l'objet étudié. Bien qu'un objet d'étude soit le plus souvent indépendant du chercheur et de son vocabulaire, à partir du moment où il est représenté dans un langage particulier il acquiert une existence contingente ;

  • dans ce sens, les théories des organisations sont créatrices de significations et dotent, potentiellement, les praticiens de certaines ressources symboliques pour donner sens à leur action ;

  • le renvoi des connaissances produites vers les praticiens est susceptible de modifier leurs croyances et leur compréhension, ce qui présente deux conséquences potentielles :

    • les praticiens peuvent changer leurs pratiques de manière non instrumentale, simplement parce qu'ils modifient leur propre système de représentation ;

    • toute régularité que le théoricien découvre est périssable puisque sa révélation aux praticiens peut les amener à modifier leurs pratiques, et donc à modifier les régularités initialement mises au jour.

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