La production de connaissances sur les organisations

Notion de théorie

Une définition simple de la notion de théorie consiste à dire qu'il s'agit d'un ensemble d'énoncés permettant d'expliquer, de prédire, voire de maîtriser des phénomènes réels.

Les connaissances relatives aux objets d'étude choisis, que la théorie fournit ou permet de construire, se veulent être des connaissances d'ordre scientifique. Leur production se doit de respecter un certain nombre de règles et leur contenu un certain nombre de critères.

Complément

Les connaissances dites scientifiques, dont on imagine qu'elles sont le fait d'experts d'une discipline, se distinguent des connaissances dites ordinaires, celles de tout un chacun, non parce qu'elles auraient sur ces dernières une supériorité intrinsèque (le savoir de l'expert, rigoureux, vérifié à partir de certaines procédures, s'opposant à celui du profane, flou et subjectif), mais parce qu'elles ont été construites en respectant des méthodes particulières censées en garantir la validité générale.

Selon le sociologue R.K. Merton (1910-2003), la science est, ou devrait être, un espace régi par un système de quatre normes :

  • universalisme : les connaissances issues de la recherche scientifique sont universelles et objectives. Les critères d'évaluation doivent être impersonnels ;

  • communalisme : les connaissances sont collectives, n'appartiennent à personne. Les scientifiques ne sont pas propriétaires de leurs découvertes ;

  • désintéressement : les scientifiques ne sont pas mus par des intérêts privés mais seulement par la volonté de rechercher la vérité et de découvrir les lois de la nature ;

  • scepticisme organisé : les résultats expérimentaux doivent être soumis à la critique collective et à la vigilance de la communauté scientifique pour être acceptés.

Attention

De nombreux travaux en sociologie des sciences, discipline dont R.K. Merton est considéré précisément comme l'un des pères fondateurs, montrent que cette description ne reflète pas nécessairement la façon dont les connaissances scientifiques sont produites.

La production des énoncés constitutifs d'une théorie peut se concevoir de différentes façons.

Le modèle classique de la science, tel que la schématise A.F. Chalmers, résume le processus de production de connaissances scientifiques tel qu'on le conçoit généralement :

Modèle classique de la science (A.F. Chalmers)

Selon ce modèle, la connaissance doit d'abord être empirique, c'est-à-dire reposer sur des observations réalisées par le chercheur. En le supposant dotés de perceptions normales et animé d'un esprit sans préjugé, la restitution de la réalité qu'il observe pourra être considérée comme objective, reflétant fidèlement cette réalité. Chaque observation porte sur une situation particulière, mais si les résultats d'une série d'observations sont convergents, le chercheur peut s'autoriser à raisonner de façon inductive et à généraliser ce qui a été observé pour formuler des énoncés universels qui constituent les lois et les théories scientifiques. Celles-ci constituent alors la base de l'explication et de la prédiction des phénomènes qui faisaient l'objet des investigations. Tant que la mise à l'épreuve de ces lois et théories sur de nouvelles situations ne débouche pas sur des observations qui ne vont pas dans le sens prévu, la théorie sera considérée comme valide. Dans le cas contraire, la théorie devra être rejetée.

Remarque

Cette façon de voir correspond à ce que l'on appelle, depuis K.R. Popper, le « falsificationnisme » : une théorie ne peut jamais être dite « vraie » ou prouvée de façon définitive ; elle est acceptée jusqu'à ce que de nouvelles observations viennent l'infirmer.

Dans ces conditions, une démarche judicieuse pour progresser dans les connaissances peut consister à rechercher l'infirmation d'une théorie plutôt que d'accumuler des « preuves » de sa validité.

Cette modélisation très introductive du travail scientifique présente un certain nombre de limites qui n'échappent pas à son auteur. D'une part, on imagine mal qu'un travail d'observation puisse se faire sans appui sur une théorie préalable, plus ou moins élaborée, qui guide l'observation. D'autre part, il ne faut pas exclure l'intervention possible de l'intuition créatrice, plutôt que l'appui sur des observations, dans la formulation d'énoncés théoriques.

Une autre difficulté évidente porte sur la généralisation inductive : combien de situations singulières et de circonstances variées faut-il accumuler pour s'autoriser à produire une loi universelle ?

Complément

Cette question est d'autant plus cruciale pour les théories des organisations que ces dernières manifestent une très grande variété. D'où les multiples essais de catégorisations sur la base desquelles on imagine pouvoir formuler des généralisations en quelque sorte plus restreintes mais davantage fiables. Mais, comme on l'a vu, ce travail typologique ne va pas de soi (voir le chapitre « typologies des organisations »).

Une autre façon de se représenter le travail de construction théorique consiste à raisonner en 4 étapes dont chacune suppose de répondre à une question fondamentale :

1 – de quoi s'agit-il ?

Quels sont les variables, les paramètres, les facteurs, qu'il convient de prendre en considération pour expliquer le phénomène que l'on a choisi d'étudier. Cet inventaire initial doit être conduit en essayant de respecter deux principes :

  • un principe de complétude : ne pas omettre un élément qui serait essentiel ;

  • un principe de parcimonie : ne pas compliquer inutilement le travail en introduisant des éléments qui apporteraient peu à la connaissance.

2 – comment les variables, paramètres, facteurs permettant de décrire le phénomène, sont-ils reliés ?

Cette question des relations entre les variables considérées comme pertinentes renvoie à celle de la causalité

3 – pourquoi en est-il ainsi ?

Il s'agit ici de spécifier les raisons qui permettent de justifier les relations qui ont été précédemment formulées

4 – quand peut-on considérer que les lois formulées sont valides ?

Traiter cette question revient à s'interroger sur les frontières de validité de la théorie qui vient d'être formulée, pour ne pas céder d'emblée à la tentation de l'ériger en loi universelle.

Ce canevas ne donne évidemment que les principes du raisonnement. La mise en oeuvre passe par le délicat travail d'opérationnalisation des variables dont on a considéré qu'elles méritaient d'être prises en considération, travail qui conditionne les possibilités d'observation du phénomène à étudier. En termes techniques, l'inventaire des variables pertinentes relève du travail conceptuel qui permet de formuler des propositions de relations entre ces variables ; l'opérationnalisation de ces variables à des fins d'observation et de mesure consiste à définir des « construits » et à transformer les propositions en hypothèses testables.

Schématiquement :

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Ces quelques points de repère sur les modalités de production de connaissances scientifiques sont évidemment très schématiques. Cependant, l'objectif n'est pas ici de développer un exposé d'épistémologie générale, mais simplement de disposer de quelques bases pour introduire la problématique de production de connaissances sur les organisations et pour faire ressortir certaines de ses particularités par rapport au modèle classique de la science.

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