La notion d'organisation

Les traits essentiels de toute organisation

Il existe de nombreuses définitions de l'organisation qui ont pour point commun de mobiliser la notion de but pour distinguer l'organisation d'autres formes d'institutions sociales.

Voici, par exemple, ce que disait Talcott Parsons, un éminent sociologue américain :

Exemple

« En tant qu'élément analytique de référence, l'orientation vers l'atteinte d'un but spécifique est la caractéristique de l'organisation qui la distingue des autres types de systèmes sociaux » (T. Parsons, 1960)

Dans le même ordre d'idées, mais de façon plus précise, E. Schein propose une définition devenue d'usage courant :

Définition

« Une organisation est la coordination rationnelle des activités d'un certain nombre de personnes pour l'atteinte d'un but explicite commun, via une division du travail et une hiérarchie de l'autorité et des responsabilités » (E.H. Schein, 1970)

Cette référence à la notion de but permet de souligner le fait qu'une organisation est un objet artificiel, un objet construit et non un objet naturel : l'organisation est créée en vue de réaliser un projet, d'atteindre un ou un ensemble de buts. Si on lui attribue une finalité pragmatique, la théorie des organisations aurait alors pour tâche de conceptualiser, d'expliquer et de guider l'action qui consiste à amener les participants à agir à l'unisson vers l'atteinte de fins ou de buts communs et désirables.

Aborder la réalité organisationnelle de cette façon constitue cependant une simplification excessive. Rien ne permet d'affirmer a priori, comme c'est le cas dans les définitions précédemment citées, qu'une organisation est un lieu de consensus ou qu'elle devrait être présumée comme devant toujours l'être. Plusieurs arguments conduisent à relativiser cet a priori. David Silverman, un autre grand théoricien des organisations, remarque que si l'on peut interroger un individu quant aux buts qu'il poursuit, il est bien difficile d'aborder une organisation de la même façon. De même, avant lui, A. Gouldner observait que dire qu'une organisation est orientée vers l'atteinte de certains buts ne signifie d'ordinaire rien d'autre qu'il s'agit des buts de ses principaux dirigeants. Postuler le consensus, sans voir qu'il peut ne s'agir que d'un mythe, pourrait alors donner à l'éventuelle ambition pragmatique de la théorie des organisations un côté partisan.

Au moins faut-il garder en mémoire le fait que le ou les buts qui ont justifié la création de l'organisation ne font pas nécessairement et en permanence l'objet du consensus entre participants. Une définition de l'organisation qui attirerait l'attention sur ce point pourrait alors se présenter ainsi :

Définition

L'organisation est une coalition de groupes d'intérêts différents qui élaborent des buts par négociation.

On verra que ce point de vue a été particulièrement développé par certains courants de théorie des organisations.

Au-delà des débats qui viennent d'être esquissés, l'existence de buts n'est pas le seul trait qui permet de caractériser l'organisation en tant qu'entité. D'autres propriétés, les unes plutôt structurelles, c'est-à-dire ressortissant en quelque sorte à la morphologie de l'organisation, les autres processuelles, renvoyant au processus de fonctionnement, doivent être pris en compte.

Trois propriétés d'ordre structurel se retrouvent dans la plupart des organisations, sinon toutes :

Remarque

Ces propriétés sont présentées ici dans leur principe ; leur traduction concrète, voire leur réalité même, diffèrent selon les organisations considérées. D'où l'un des intérêts des essais typologiques qui font l'objet du chapitre 2.

La détention et/ou la disponibilité de ressources

Pour développer l'activité pour laquelle elle a été créée, l'organisation doit pouvoir mobiliser des ressources de différente nature (ressources matérielles, financières, humaines, etc.). Ces ressources peuvent lui appartenir en propre, ou simplement lui être confiées par des apporteurs qui en conservent la propriété, en échange de contreparties à définir. Il est possible de décrire et de caractériser une organisation sur la base de la composition, voire de la valeur de cet ensemble de ressources.

Exemple

Dans le cas de l'entreprise, mais aussi d'autres organisations comme une association, la description des ressources est réalisée par des documents comptables, essentiellement le bilan qui détaille l'origine des ressources financières en distinguant ce qui appartient en propre à l'entreprise et ce qui a été financé par d'autres acteurs (le passif du bilan) et l'emploi qui est fait de ces ressources (l'actif du bilan). Cette description, se limitant à ce qui peut faire l'objet d'une traduction monétaire, ne donne qu'une vue incomplète. Elle n'intègre pas des éléments essentiels du patrimoine comme, dans le cas de l'entreprise, l'image de marque, la renommée, le savoir-faire technique ou administratif, l'habitude des personnels de travailler ensemble, etc.

L'existence de frontières

Une organisation possède une frontière qui permet de distinguer les personnes qui font partie de l'organisation de celles qui n'en font pas partie. Au-delà de cette fonction en quelque sorte de dénombrement, à la notion de frontière s'associent des modes de relations différents entre les membres de l'organisation et entre celle-ci et les acteurs extérieurs.

Exemple

Des relations d'ordre hiérarchique, liées à l'existence de contrats de travail, entre les membres d'une entreprise, et des relations d'ordre commercial entre l'entreprise et ses clients qui se situent hors-frontière.

L'existence de cette frontière, qui constitue au passage un moyen de dissocier la vie dans l'organisation de la vie individuelle, peut également jouer un rôle dans la construction d'une véritable identité de l'organisation, opposant ainsi le « Nous » (qui faisons partie de l'organisation) à « Eux » (qui sont en dehors). Cette frontière est cependant plus ou moins perméable.

Le caractère substituable des participants

La participation de personnes à une organisation créée pour conduire un projet et atteindre certains buts prend d'abord sens en termes d'accomplissement de tâches, d'endossement de rôles ou d'assomption de fonctions. En d'autres termes, ce ne sont pas les personnes en tant que telles qui importent, mais leur capacité à assumer des tâches et des rôles. Ceci conduit à poser que les membres d'une organisation sont substituables, que l'action qu'elle mène se produit et se reproduit indépendamment de l'identité des personnels, qu'elle persiste au-delà des changements de sa composition. Cette propriété permet de distinguer l'organisation d'autres groupes sociaux, comme la famille par exemple. Elle est au fondement du modèle bureaucratique analysé par M. Weber. Cependant, cette propriété n'est pas sans poser un certain nombre de problèmes. D'une part, il ne faut pas en exagérer la portée pour ce qui est de définir toutes les organisations. Il en existe bon nombre où « l'intuitu personae » revêt une réelle importance. D'autre part, sans se référer à des cas particuliers d'organisation, les changements de personnels, ou du moins de certains d'entre eux, ne peuvent être considérés a priori comme parfaitement neutres.

Exemple

Des changements dans la composition de l'équipe de direction d'une entreprise peuvent expliquer à eux seuls des modifications dans les orientations stratégiques.

Enfin, si d'un point de vue formel les participants à l'organisation peuvent être considérés simplement eu égard aux rôles qu'ils remplissent, ils ont en même temps tendance à résister précisément à cette forme de dépersonnalisation. Pour P. Selznick, qui fait partie des auteurs fondateurs du champ de la théorie des organisations, on touche là à un paradoxe fondamental de l'organisation.

Propriétés processuelles

Quant aux propriétés processuelles, il est courant d'en dénombrer deux :

L'intentionnalité

Cet élément renvoie à la notion de but, avec laquelle l'exposé a débuté, mais il s'agit de le considérer ici selon une perspective dynamique. Sous réserve de ce qui a déjà été dit sur le caractère consensuel ou non des buts de l'organisation, il est de fait que lors de la phase de création l'intentionnalité se confond avec les buts du ou des fondateurs, éventuellement ceux d'acteurs hors frontière qui pèsent en tant qu'apporteurs de ressources. Mais avec le temps, le développement des activités, les aléas de l'existence, voire les revers de fortune ou, au contraire, les succès avérés, les buts peuvent changer et la négociation à leur propos déboucher sur des reformulations. A cet égard, une organisation n'est pas figée, même si certains théoriciens ont à juste titre attiré l'attention sur ce qui peut être source d'inertie.

Fonctionnement par échange

Une organisation ne peut fonctionner en autarcie, ne serait-ce que parce qu'il est bien rare qu'elle puisse trouver en elle-même toutes les ressources que nécessitent ses activités. L'accès à ces ressources engage de nécessaires contreparties et la relation ainsi entretenue avec l'univers extérieur possède un caractère répétitif, garant de la pérennité de l'organisation tant que l'échange reste, au moins équilibré, au mieux bénéficiaire pour l'organisation.

Remarque

L'insuffisance d'ouverture sur l'univers extérieur dans lequel une organisation est insérée constitue précisément l'une des sources du phénomène d'inertie qui vient d'être évoqué.

Ce fonctionnement par échange peut être modélisé de façon relativement simple.

L'exemple suivant, valant pour le cas de l'entreprise, est connu comme étant le modèle Barnard/Simon. Il préfigure un courant théorique qui se développera sous l'appellation d'approche systémique :

Exemple
Schéma 1 : le modèle "Barnard/Simon"

Pour fonctionner, l'entreprise a besoin de différentes catégories de ressources (financières, matérielles, capacités de travail, matières premières, etc.) avec lesquelles elle pourra concevoir et produire des biens et/ou des services qu'elle destine à des clients.

En apportant ces ressources à l'entreprise, les acteurs qui les possèdent réalisent ce que l'on appellera des contributions. Ces apports ne se conçoivent pas sans contrepartie, c'est-à-dire sans que l'entreprise ne procède à la rémunération des apporteurs. Ce sont ces rémunérations qui constituent ce que l'on appelle les incitations (ou rétributions).

L'entreprise ne peut survivre et se développer que si cet échange entre contributions et incitations se solde à son profit. Tant que cette situation se maintient, le cycle d'échange peut se reproduire.

Remarque

Ce modèle pourrait être prétexte à de nombreux commentaires.

On observera simplement ici que la représentation proposée n'est pas sans inviter à se poser des questions sur certaines des propriétés de l'organisation exposées précédemment, notamment en ce qui concerne la notion de frontière : par exemple, faut-il considérer les actionnaires (apporteurs de ressources financières) et les personnels comme extérieurs à l'entreprise, comme semble le dire le schéma ?

Si l'on tient compte de l'ensemble des éléments qui viennent d'être exposés comme des traits essentiels de l'organisation, on peut résumer ce qui la caractérise fondamentalement :

Fondamental
  • une organisation n'est pas un objet naturel, mais un objet construit en vue de réaliser certaines activités s'inscrivant dans le cadre d'un projet et d'atteindre un certain nombre de buts,

  • une organisation est encastrée dans un univers extérieur, un environnement lui-même composé d'acteurs et d'autres organisations, avec lequel elle entretient des relations d'échange,

  • une organisation est donc à la fois un acteur autonome, décidant de la nature de ses activités, de son projet, de ses buts, et un acteur dépendant de son environnement,

  • la nature du projet et des buts à poursuivre constitue un enjeu de négociation entre les participants à l'organisation,

  • la participation à une organisation comporte une dimension volontaire, mais induit en même temps un ensemble de contraintes.

De ces quelques traits, on peut déduire un certain nombre d'aspects paradoxaux de l'organisation :

Tableau 1 : Quelques aspects paradoxaux de l'organisation

Ensemble structuré, contraignant pour

les participants (respect des règles).

Lieu de frustrations, de tensions, de

conflits

Construction dynamique collective qui

autorise la réalisation d'un projet

commun.

Lieu d'épanouissement

Système de coopération, harmonieux,

en équilibre

Lieu d'affrontements, d'intérêts

divergents, de conflits

Cadre structuré d'essence autoritaire

Adhésion volontaire des participants

Acteur « autonome », « unité active »

Acteur encastré, dépendant

Exigence de régularité, d'efficience, de

stabilité (ordre, exploitation)

Exigence de changement, d'évolution, de

nouveauté (innovation, exploration)

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